Les bénéfices du Kung-Fu dans les troubles psychiques et post-traumatiques
- Publié le :
- 27 mars 2021
- Type :
- Santé
- Écrit par :
- Dr Ingrid Rousset
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Docteur Ingrid Rousset est médecin psychiatre, psychothérapeute, formée en psychotraumatisme, dissociation et thérapie EMDR.
Elle pratique le Kung-Fu Pak-Mei depuis 2019.
La souffrance psychique isole de soi, des autres et du monde. Elle travaille l’Homme sur, au moins, quatre plans : les dimensions mentale, émotionnelle, physique et relationnelle mais aussi existentielle (la compréhension que j’ai et le sens que je donne à mon existence).
Dans le psychotraumatisme, des événements douloureux vécus dans le passé ont laissé des mémoires traumatiques indigérables par les dimensions mentale, émotionnelle et corporelle. Spontanément ou à l’occasion de déclencheurs parfois minimes dans le présent, ces mémoires ressurgissent sous la forme de flashbacks diurnes, de cauchemars nocturnes, de débordements émotionnels incompréhensibles dans leur intensité à la vue du seul présent, ou de sensations corporelles. Les antécédents traumatiques sont un facteur prépondérant favorisant les troubles psychiques divers : troubles anxieux, de l’humeur, de la personnalité, dépressifs, bipolaires…
Se soigner implique un double mouvement.
D’une part, se recentrer sur soi pour accueillir, comprendre et soigner ces dimensions mentale et émotionnelle. Il est alors recommandé d’être accompagné par un professionnel dans une prise en charge psychothérapeutique ou psychocorporelle.
D’autre part, de se sortir de l’enfermement dans cette souffrance, d’apprendre à se décaler de nos pensées et émotions, à ne plus s’identifier à elles, afin de se reconnecter à la vie et à son énergie.
Ce double mouvement de prise de conscience et d’accueil des mémoires du passé, tout en revenant se connecter au présent, est une voie de guérison fructueuse. En complément du soin de ces mémoires, l’ancrage dans un présent plus clément est salvateur.
Parallèlement aux soins des blessures, développer les ressources est indispensable.
Le corps est un médiateur puissant pour revenir dans le présent. Nos pensées peuvent être « ailleurs » dans le passé, le corps, lui, est toujours concrètement, dans l’« ici et maintenant ».
Le corps est aussi l’outil de reliance à notre environnement et, en particulier à la Terre, la Nature, mais aussi à la communauté humaine.
Deux ressources fondamentales et présentes en permanence (sauf situation extrême) quelles que soient nos pensées à ce sujet.
Lorsqu’une personne a vécu des expériences traumatiques répétitives, elle a souvent « fui » son corps et ses différentes dimensions, dans lesquelles ces mémoires sont inscrites. Le processus consiste à se « couper » de soi-même, de son corps, de ses ressentis et de ses pensées, par une anesthésie corporelle générale (réflexe et inconsciente, médiée par le phénomène de sidération traumatique) ou par une focalisation sur le monde extérieur, concrète et matérielle, dans une activité permanente, voire une hyperactivité addictive.
Enfin, lorsque les traumatismes vécus se doublent d’antécédents de relations complexes, voire maltraitantes avec les adultes référents de l’enfance, une méfiance vis-à-vis de l’autre a pu s’instaurer, accompagnée de difficultés à affirmer sa légitimité, son espace d’existence, ses limites et ses qualités (difficulté dans l’affirmation et l’estime de soi).
La pratique du Kung-Fu va agir sur ces différentes dimensions.
Historiquement, Bodhi-Dharma développe le Kung-Fu afin d’améliorer la santé des moines du Temple Shaolin.
Bodhi-Dharma est un prince indien voyageant en Chine dans le but d’y réimplanter un bouddhisme originel. Afin d’améliorer les capacités physiques et mentales des moines et de développer leurs aptitudes à de longues périodes de méditation, il crée une série d’exercices s’inspirant des arts martiaux traditionnels, du yoga et du kalarippayat, art martial d’Inde du Sud. L’objectif martial de développer leurs aptitudes au combat viendra ensuite.
Dans les Écoles traditionnelles de Kung-Fu, il n’y a pas de compétition, ni nécessairement de combat. La seule compétition est avec soi-même dans la satisfaction d’une progression pas à pas.
Si le développement de certaines aptitudes se fait par l’échange à deux (la coordination, la confiance, la bienveillance, le courage…), les échanges de combat en eux-mêmes interviennent après une avancée certaine dans le cursus.
L’adaptation des exercices se fera au cas par cas dans le respect de chacun et la prise en compte d’une éventuelle appréhension du contact.
Il y a la Voie Martiale (développer ses aptitudes au combat) et la Santé Martiale (préserver sa santé).
Chacun est libre de faire son choix de l’une ou l’autre voie. Par ailleurs, on voit certains pratiquants arriver dans une démarche de Santé Martiale, peu enclins aux contacts et autres échanges techniques, prendre un goût certain à cet aspect dans le cadre bienveillant et contenant de l’École.
Comme dans toute activité personnelle, se libérer un espace et un temps pour sa pratique permet de poser des limites vis-à-vis des contraintes extérieures. Être accueilli dans une communauté bienveillante et contenante rassure dès l’arrivée. Les valeurs humaines de fraternité entre « sœurs et frères d’armes », de respect, d’entraide et de solidarité sont au centre des valeurs philosophiques du Kung-Fu, reposant sur les trois sagesses que sont le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme.
Prendre soin de l’École est lié au respect de soi et de son lieu de pratique. Les nouveaux élèves donnent de leur temps pour l’entretien de celui-ci en marge de leur pratique formelle, tout comme les élèves gradés prennent du temps sur leur propre pratique pour encadrer les plus jeunes. Ceci ouvre à un ré-apprentissage au « donner et recevoir », valeur humaine qui peut être compliquée en cas d’antécédents de blessures relationnelles profondes.
La pratique du Kung-Fu va être un levier puissant pour revenir dans son corps. Dans la posture de base du Pak-Mei, celle du Dragon, la personne apprend à ancrer son corps au sol, à « se couler dans la Terre », dans une posture stable, solide, posée et tranquille, dont la force ne va pas émaner de la poussée contre un autre potentiel mais de sa structure même. L’attention portée à la position du bassin - rétroversé - et son importance dans la stabilisation des postures a une portée symbolique et énergétique forte, notamment dans ce contexte de blessures existentielles.
La perception retrouvée de son centre et de son axe accompagne dans le corps le travail psychothérapeutique de réunification intérieure et d’intégration des mémoires infantiles au sein de la personnalité adulte.
L’objectif est de se rassembler en soi-même, dans un tout unifié et apaisé, ancré dans le présent. Ainsi se développe la perception de son corps dans l’espace et sa coordination. Tout au long de la pratique, le travail subtil mais central d’alternance entre le Yin et le Yang, c’est-à-dire, la souplesse, la fluidité, le non-agir (Yin) d’un côté et la force, la solidité, la maîtrise de soi (Yang) d’un autre côté, permet d’assouplir des défenses corporelles extrêmes que sont la tension corporelle permanente associée à l’hypervigilance ou au contraire, l’anesthésie et la lourdeur corporelle.
Ces défenses ayant été élaborées comme des « armures corporelles » face aux traumatismes du passé.
« Cette dualité du Yin et du Yang […] produit une différence de potentiel qui engendre une onde, un souffle médian qui anime cette structure en la faisant passer de la confrontation statique à l’alternance féconde » (Quelle beauté ! Quelle justesse !) de C. Javary, “Les trois sagesses chinoises”, Ed Albin Michel, p. 65.
En plus d’un regain d’énergie physique et psychique ainsi que d’une diminution nette de la fatigue, cette alternance permet progressivement un travail subtil de ressenti et d’unification des composantes masculine et féminine, d’accueil et d’émission dans la dimension relationnelle de la communauté (recevoir/donner), mais aussi corporelle. Dans le cadre bienveillant et contenant de la pratique, les émotions ressenties comme « négatives », souvent réprimées de longue date telles que la peur et la colère, peuvent être travaillées et extériorisées. Sortir du figement corporel permet de passer de la peur à la colère. S’appliquer à porter des coups de poing et des coups de pied, dans le vide ou sur des paos (boucliers de frappe portables), dans un geste technique, maîtrisé et beau, avec une conscience corporelle, est un canal extrêmement apaisant et sain d’expression de la colère.
L’exécution des formes, enchaînements de mouvements fluides mimant le combat avec un adversaire invisible dans une chorégraphie alternant parades et attaques (Yin et Yang), renforce la coordination, la mémoire ainsi que la perception fine du corps dans l’espace. La pratique répétitive et, in fine, méditative des formes, au-delà de l’apprentissage par la répétition de techniques de combat, aboutit à faire circuler l’Énergie de vie dans le corps et y canaliser Beauté et Harmonie.
La pratique du Kung-Fu va permettre de rapidement de développer ses différentes forces physiques et mentales, son endurance mais aussi de relever des défis vis-à-vis de soi-même. Ceci, associé au développement de la conscience corporelle, permet d’augmenter cette conscience dans le présent du corps adulte et du Soi adulte. Et d’y accompagner l’intégration des mémoires traumatiques infantiles (travail psychothérapeutique) à leurs justes places.
Par la pratique du Kung-Fu,
▪ Accepter de descendre dans son corps
▪ Retrouver la conscience de son centre, de son axe, de son unité
▪ Recréer sa bulle énergétique, son espace vital
▪ S’y mouvoir avec aisance (coordination et conscience corporelle)
▪ Retrouver souplesse, rapidité, maîtrise de soi, forces physique et mentale
▪ Développer la conscience de son corps adulte et de son présent pour y accompagner l’intégration des mémoires du passé
À travers la dialectique subtile du Yin et du Yang dans le corps,
réapprendre à s’accueillir soi-même, dans ses forces et ses limites, à ne plus rien forcer dans l’acceptation du sens de « l’agir dans le non-agir » taoïste.
Retrouver une place dans une communauté, quelle que soit sa propre forme physique ou psychique, dans la bienveillance, le respect de chacun et une adaptation subtile et discrète à ses besoins propres, dans une grande intelligence de la vie du groupe et de chacun.
Enfin, retrouver sa place entre Ciel et Terre.
Docteur Ingrid Rousset, médecin psychiatre, psychothérapeute, formée en psychotraumatisme, dissociation et thérapie EMDR
Marie L., Correctrice & Responsable marketing chez un Big Four
Ingrid et Marie sont élèves de l’École Pak-Mei Orthodoxe Kung-Fu.